mercredi 13 février 2013

Vercruysse ne mâche pas ses mots

Dans une longue interview qu'il nous a accordée à l'occasion de son séjour à Dinard, où il suit actuellement, au Campus Sport Bretagne (1), sa formation d'entraîneur, l'ancien milieu international (12 sélections) Philippe Vercruysse (51 ans) a abordé nombre de sujets liés au football. Le métier d'entraîneur et ses aspirations (voir notre édition papier), bien sûr, mais pas que... Les médias, le football français, l'équipe de France, Houllier, Platini, Tapie : Vercruysse ne mâche pas ses mots. "Je suis honnête, je dis ce que je pense", assène-t-il.

Le "système français".
"C'est simple, en France, on ne fait pas jouer les meilleurs joueurs", assure
Philippe Vercruysse. Avant d'illustrer ses propos : "On a perdu la Coupe d'Europe contre l'Etoile Rouge Belgrade (1991, défaite de l'OM, 0-0, 5-3 aux tab) à cause de ça : on a mis des gens sur le terrain parce qu'ils étaient plus jeunes donc avec une valeur marchande plus importante. Et on a mis Tigana dans les tribunes (sur le banc en réalité, N.D.L.R.).
Mais rien qu'avec lui, je ne parle même pas de moi (Vercruysse était remplaçant mais entré en jeu à la 75e minute), non, rien qu'avec Tigana sur le terrain, on gagnait la Coupe d'Europe. Se permettre de mettre en tribune un tel joueur, avec un tel volume de jeu, il faut être fou. Même à 35 ans, il avait sa place. Et là on parle d'une finale de Coupe d'Europe, pas d'un match amical.
Regardez à l'étranger : Thierry Henry, même avec son gros salaire, il était sur le banc à Barcelone. C'est Pedro qui jouait. Parce qu'il était meilleur !"

Carrière semée d'embûches.
"S'il y avait eu la loi Bosman avant (2), peut-être que je ne serais resté qu'un quart d'heure dans le
football français. Juste le temps de faire mes valises !" Par ces mots, l'ancien milieu de terrain résume une carrière que beaucoup lui promettaient radieuse, en club comme en équipe de France, mais qui n'a pas atteint les sommets promis.
En équipe de France, d'abord. "Au Mondial 86, lors du match pour la troisième place, la nouvelle génération était sur le terrain. Sauf qu'après, les dirigeants se sont mis à faire n'importe quoi : l'équipe changeait sans arrêt. Résultat : on rate la Coupe du monde 90, on rate 94..."
Le débit est rapide, le discours vif et acéré, la réaction épidermique. Les souvenirs ravivent, plus de vingt ans après, une déception incommensurable. "Bien sûr, j'aurais aimé jouer plus en équipe de France. Mais, à son arrivée (comme sélectionneur, en 1988), Platini disait que les numéros 10 ne servaient plus à rien dans le
football. Puis Houllier derrière... Forcément, ma carrière internationale était terminée."
Et en club ? Il a connu la belle époque marseillaise quand même ! De bons souvenirs : "On réalise le doublé Coupe-championnat en 89. Et c'était avant l'arrivée des Francescoli, Stojkovic, Waddle, Mozer, Amoros, Abedi Pelé ! J'avais fait à peu près 34 matchs (35) sur 38 matchs de D1 cette saison-là, j'avais grandement participé à ce doublé." Et de moins bons souvenirs : "Je me suis souvent retrouvé sur le banc ensuite. Mais bon, c'était de notoriété publique, Tapie faisait l'équipe."
"Tapie, Bez... des présidents condamnés par la justice. Je les ai collectionnés...", souffle Vercruysse.

Il devait être le successeur de Platini...
"C'est une erreur de comparer les joueurs. Les médias ne devraient pas faire ça, ce n'est pas bon quand on est jeune. Platini et moi, Platini et Zidane, Zidane et Gourcuff... J'ai été victime d'injustice. On m'a mis au placard en équipe de France, on ne va pas répéter l'histoire avec Gourcuff (retrouver ses propos sur le milieu breton dans notre édition papier, N.D.L.R.) !"
Aujourd'hui encore, Vercruysse conserve de la considération pour Platini. Il admirait et admire toujours le joueur, il est bien moins élogieux avec l'homme, intronisé sélectionneur en 88. "Platini, c'était mon idole, un vrai numéro 10, le meilleur de tous les temps selon moi. Pelé est sur une autre planète, Maradona, Cruyff, Messi, eux, ce sont des génies, des électrons libres. Platini était un numéro 10 : il avait une vision du jeu fabuleuse, il faisait jouer les autres, avait le génie de la passe, il était en plus un grand buteur. Mais l'homme m'a beaucoup déçu, il n'a pas aidé la nouvelle génération. Il a tendance à être jaloux. C'était lui et personne d'autre."

L'équipe de France.
Le préambule est sans concession pour Raymond Domenech, sélectionneur de 2004 à 2010. "Son livre (Tout seul, sorti en 2012), je ne l'ai même pas lu : on est dans le ridicule. Il attaque les joueurs, mais il ne fallait pas les sélectionner !"
Et Vercruysse de dresser un système de starification des joueurs qui conduirait inévitablement à l'échec : "On donne beaucoup d'argent aux joueurs, on dit que ce sont les meilleurs du monde. Mais il faut qu'ils aient des résultats avant, qu'ils aient prouvé quelque chose. S'ils n'ont rien prouvé et qu'on les met déjà sur un piédestal, qu'on les mythifie, qu'on les statufie... Que voulez-vous leur dire après ? Vous ne pouvez plus émettre une seule critique. C'est terminé !
Une certaine presse est aussi responsable de ça. Car elle fait des papiers pour "vendre" ces joueurs. Ribéry, c'est un exemple. Je n'ai rien contre lui mais il est resté cinq ans sans marquer un but en équipe de France (trois ans pour être exact, du 1er avril 2009 au 27 mai 2012).
Ginola, lui, il a manqué un centre (contre la Bulgarie 1-2, match qualificatif pour le Mondial 94 qui a vu l'élimination des Bleus)... Et encore, je ne devrais pas dire ça. On rate un penalty, oui, pas un centre."

Ginola - Houllier.
"Ginola, on a dit qu'il avait commis un crime. Il manquait un point contre Israël et la Bulgarie pour se qualifier (pour le Mondial 94). France - Israël, David Ginola marque un but splendide et fait marquer le deuxième. Gérard Houllier, il le sort : son meilleur joueur sur le terrain !
Et, par contre, on en prend trois (buts) - contre Israël sans dénigrer - et Houllier ne sort pas un seul des gars de derrière. Faut-il vraiment un diplôme d'entraîneur pour voir ça ? Le match qui suit, Ginola est sur le banc. Houllier, c'est lui qui devait qualifier l'équipe, or Ginola était en train de lui voler la vedette. Il est là, le problème. Or un entraîneur doit rester dans l'ombre. La lumière, elle est sur les joueurs. Houllier, c'était lui la star. Je le connais, c'est un faux-modeste. Il a un ego surdimensionné. Il devait qualifier l'équipe de France. Or Ginola était en train de lui voler la vedette. Un entraîneur ne doit pas être mégalo."

L'argent.
"Avant, on parlait d'abord de titres, de coupes. On pensait au palmarès, l'argent n'était pas le moteur. A mes débuts, en 1980, pendant quatre ans j'ai gagné 800.000 francs anciens par mois (1.200 euros). Et j'étais déjà international.
Le basculement dans l'argent a eu lieu vers 86 et, aujourd'hui, on ne parle plus que d'argent. Les clubs n'en ont jamais assez. Tout le monde se focalise sur le côté financier. Marseille est resté 17 ans sans rien gagner (de 1993 à 2010) alors qu'il avait l'un des hommes les plus riches du monde à sa tête (Robert Louis-Dreyfus).
A un moment donné, l'argent n'est plus le problème. Avant d'en avoir plus, il faut bien l'utiliser. Il y a peut-être un problème de compétences !"

Lyon, son exemple français.
Bien que le septuple champion de France (2002 à 2008) a perdu de sa superbe depuis quelques années, l'Olympique Lyonnais demeure LA structure française de référence aux yeux de
Philippe Vercruysse : "Depuis très longtemps, je suis persuadé que la formation est très importante. Dans cette optique, Lyon est un exemple sur les quinze dernières années en France. Le club a sorti des jeunes, a fait de belles coupes d'Europe et a gagné des titres en France.
Aulas (Jean-Michel, le président lyonnais) a fait du bon boulot. Après, on aime ou on n'aime pas le personnage, mais il faut lui reconnaître ça."

L'entraîneur.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la vision de
Philippe Vercruysse est tranchée. Voire totalement iconoclaste. "Il n'y a pas de bons entraîneurs, que de bons joueurs ou pas. C'est eux qui font les entraîneurs."
Et si les résultats ne suivent pas ou que les joueurs n'adhèrent pas au discours de l'entraîneur, le couperet doit tomber. "C'est normal. S'il y a de bons résultats, on est dans le vrai. Sinon, c'est qu'il y a des problèmes et l'entraîneur est responsable", appuie l'ancien Bleu, qui s'inspire de l'étranger où le rôle de manager-entraîneur est répandu : "C'est plus simple. L'entraîneur a les pleins pouvoirs. S'il n'a pas les résultats, dehors (il siffle et accompagne la parole d'un balayage de la main)."

1. Ex-Creps, centre régional d'éducation populaire et de sport.
2. L'arrêt Bosman, du nom du joueur belge Jean-Marc Bosman, a contribué, à partir de 1996, à ouvrir les frontières et à libéraliser les transferts sur le continent européen.


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